L’Éducation Nationale responsable d’un niveau élevé de souffrance chez les professeurs STI

samedi 22 novembre 2014
par  SUD Education NICE
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Résultats d’une enquête universitaire


Suite à la dernière réforme de la filière technologique industrielle en lycée, de nombreux cas de burn-out ont touché les enseignants et un suicide a été reconnu comme« imputable au service ». Aujourd’hui, une enquête* menée par un laboratoire de recherche de l’université de Paris-Descartes vient révéler l’extraordinaire ampleur de la souffrance des collègues de STI ainsi que la manière dont l’institution les a abandonnés à celle-ci. Explications.

  Le contexte de la réforme STI2D

En 2011, Luc Chatel ajoute à la réforme du lycée, celle spécifique aux filières STI. Derrière une appellation vendeuse (STI2D pour Sciences et Techniques pour l’Industrie et le Développement Durable), en pleine vague de suppressions massives de postes, celle-ci a essentiellement des objectifs comptables : Réduction importante du nombre de spécialités (de 13 à 4), polyvalence des enseignants, réductions des travaux pratiques en groupes réduits, regroupement en classe complète (35 élèves) des séquences de tronc commun, utilisation massive de l’outil informatique plutôt que du matériel industriel,…

Cette réforme est menée au pas de charge : programmes publiés en avril 2011, rentrée des élèves en septembre, structures matérielles non prêtes, absence de formation professionnelles des enseignants ou formations organisées à la hâte, sans contenu défini ni recul, entre pairs ou en autoformation, à distance et essentiellement hors temps de travail…

Vincent Peillon, qui à l’époque disait comprendre l’opposition de l’ensemble de la profession à la réforme, devenu ministre leur porte le coup de grâce : au 1er trimestre 2012-2013, les enseignants STI, spécialistes d’une des 42 disciplines, ont été ré-étiquetés d’autorité dans l’une des 4 spécialités de la nouvelle discipline S2i, sous la pression des inspecteurs, notamment pour être contraints à enseigner, si besoin, sur tout type de poste de « Technologie » de la 6e de collège aux classes de post-bac.

 La souffrance des enseignants et le suicide de Pierre Jacque

Sur le terrain, les enseignants ont été essentiellement livrés à eux-mêmes, devant à présent enseigner, dans des conditions de travail dégradées, une grande majorité de contenus dont ils n’étaient plus spécialistes. Observant cette nouvelle situation, les enseignants STI ont le sentiment qu’ils contribuent au sacrifice de la voie technologique en lycée, voie qui permettait, avant la réforme, l’ascension sociale de nombreux élèves et qui concourrait au développement industriel du pays.

Dès 2012, des CHSCT académiques et le CHSCT ministériel sont alertés de cas de profonde souffrance au travail des professeurs STI. Les médecins de prévention des Rectorats, déjà débordés et en nombre insuffisants, reconnaissent recevoir
prioritairement les collègues de cette discipline.

A la veille de la rentrée 2013, Pierre Jacque, un enseignant STI de 55 ans du lycée Antonin Artaud de Marseille, se donne la mort laissant une lettre dans laquelle il explique ne plus supporter les conditions d’exercice de son métier. Le 3 juin dernier, ce suicide a été reconnu comme accident du travail « imputable au service ». Le lien direct avec l’évolution du métier, consécutive aux dernières réformes, ainsi qu’avec les manquement de l’administration en matière d’accompagnement des personnels est donc établi.

A l’exception du cas de Pierre Jacque, à aucun moment l’institution ne reconnaît la cause professionnelle dans la multiplication des cas de burn-out chez les professeurs de STI notamment. Les inspections pédagogiques et chefs d’établissements cadrent avec autorité.

 L'enquête du LATI de l'université Paris-Descartes

Début 2013 des professeurs de l’Académie de Nancy-Metz, membres de plusieurs syndicats, prennent contact avec le Laboratoire Adaptation Travail et Individu (LATI) de l’université de Paris-Descartes. Celui-ci accepte de réaliser une enquête d’importance à l’échelle nationale sur le cas des professeurs STI en matière de stress au travail.

Cette enquête universitaire, conduite par un laboratoire de recherche spécialisé dans les questions de santé au travail, fournit l’assurance d’une rigueur scientifique et de l’absence de tout esprit partisan.

Si les directions nationales de plusieurs syndicats n’ont pas souhaité s’engager dans cette initiative mal vue par le Ministère, la fédération SUD Éducation s’est par contre impliquée pleinement dans la réalisation et la diffusion de cette enquête d’ampleur : pendant un mois et demi, 2350 professeurs (soit environ 15 % de la totalité des professeurs STI de France), provenant de quasiment toutes les académies, ont passé chacun en moyenne 45 minutes à répondre à un important questionnaire qui, outre la définition de la population interrogée, visait :

  • à mesurer des aspects de santé et motivationnels (stress perçu et situation du burn-out),
  • à identifier les caractéristiques du travail (dont la charge de travail et le soutien social),
  • à définir la perception du professeur face au changement apparu dans son métier.

 Des résultats sans équivoque

L’ensemble de l’étude met en évidence que les enseignants STI sont très majoritairement en situation de souffrance. Les très gros pourcentages montrant un degré élevé de souffrance ne peuvent qu’interpeller. Ainsi :

Stress et burn-out : Près de 76 % des professeurs sont en « stress élevé ». La première étape du burn-out, dit d’épuisement professionnel (sentiment d’être vide émotionnellement et physiquement), est constatée chez plus de 75 % d’entre eux. La deuxième étape du burn-out, dit de désengagement (attitude négative, voire cynique, à l’égard de son travail et des usagers), en concerne 59 %.

Charge de travail et soutien des interlocuteurs : La charge de travail est perçue par plus de 86 % des professeurs comme particulièrement élevée. Si plus de 93% des professeurs se sentent abandonnés par le corps d’inspection, à l’inverse, ils sont près de 68 % à se sentir épaulés par leurs collègues.

Perception du changement : À la fin du développement de cette partie de l’étude, on lit notamment « […] Ainsi, on peut émettre l’hypothèse forte que le lien entre une attitude négative envers le changement et un fort niveau de stress est (en partie) déterminée par le manque de ressources consécutif à ce changement, particulièrement en termes de reconnaissance, d’autonomie, de clarté de rôle et de soutien. »

  Des conséquences à tirer

Longtemps sourde aux alertes individuelles ou à celles relayées par les organisations syndicales, avec la reconnaissance du suicide de Pierre Jacque comme imputable au service, l’institution semble se saisir enfin des cas les plus graves. Mais L’enquête du LATI, dévoilant des pourcentages sans équivoque, montre clairement que derrière ces cas individuels c’est l’ensemble du corps des professeurs de STI qui se trouve dans une situation d’extraordinaire souffrance en ayant pris de plein fouet une réforme brutale. Est établie également la responsabilité de l’institution, n’ayant pas respecté ses obligations de protection de la santé des personnels. Comment un enseignant peut-il exercer son métier en situation de souffrance ? Pourquoi les élèves doivent-ils en subir les conséquences ?

Aujourd’hui, l’institution doit publiquement reconnaître cette situation et annoncer la remise à plat totale de la réforme STI2D.


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